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Fleurir le silence

résidence de création à l'Hôpital Asselin Hédelin
d'YVETOT de décembre 2010 à mai 2011
à l'initiative de la Galerie Duchamp d'YVETOT, dans le cadre du dispositif Culture à l'Hôpital


journal de résidence .pdf (maquette en cours)
Texte du Dr Hansen sur les portraits.pdf

Dans ce contexte, l'invitation était d'impliquer les résidents de l'EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgèes dépendantes) au sein d'une création artistique qui aboutirait à une exposition sur place. Cet établissement comprend plusieurs services caractérisés par différents degrés de prise en charge. Le projet a donc pris des dimensions multiples afin de solliciter différemment les facultés des résidents en fonction de leurs capacités physiques et mentales.

Une première approche était de proposer aux résidents de m'apprendre des savoirs-faire qu'ils pratiquaient ou avaient pratiqué dans leur vie. J'adoptais une posture de novice en demande de transmisssion. Cela a donné lieu à de nombreux échanges qui ont permis de valoriser ce que chacun n'avait pas forcément identifier comme un savoir-faire digne d'être transmis : des pratiques liées à leur métier ou à leurs besoins quotidiens qui ne sont désormais que peu ou plus usitées par ma génération. Très peu ont été prêts à passer à la pratique, l'échange verbal leur suffisait la plupart du temps, permettant de se remémorer des périodes antérieures de leur existence qu'ils envisageaient avec détachement aujourd'hui, et de multiples inhibitions les retenaient de s'engager dans toute forme d'activité.
Des fragments de ces échanges se retrouvent au sein du journal de résidence, associés à des photographies de la situation ou d'objets qu'ils m'ont montrés.

Une seconde approche a été conçue à destination de résidents atteints de troubles de la mémoire, pour lesquels la notion de transmission semblait plutôt inadéquate. Il s'agissait de les inviter à s'approprier leur portrait photographique en peignant et dessinant dessus. Leur propre image représentant un repère pour eux, permettait de maintenir un sentiment de continuité dans le déroulement du projet. Les participants étaient principalement atteints de la maladie d'Alzheimer. Malgré ou du fait de leurs troubles, ces résidents en secteur fermé se montraient très coopératifs et ouverts, sans les a prioris ou inhibitions qui ont pu freiner de nombreux résidents plus autonomes. Ils manifestaient leur enthousiasme à participer et leur étonnement de redécouvrir à chaque instant ce qu'ils avaient accompli.


Plusieurs ateliers ont pu ainsi être menés qui ont abouti à des réalisations pour certaines exposées au sein de l'Hôpital en fin de résidence :

- broder au point de croix (les arbres du silence)
- broder au point de tige et passé-plat (les fleurs du silence)
- tricoter
- repriser
- les broderies de Daniel
- la collecte de cheveux (l'arbre des ancêtres)
- les portraits

arbre du silence
arbre du silence #1, série de canevas, impression pigmentaire sur toile brodée au point de croix

- broder au point de croix sur les consignes d'Yvonne (104 ans) et de Marie : "les arbres du silence", photos d'arbres enneigés imprimé sur toiles dont les branches sont parées de fleurs ou de feuilles brodées au point de croix (avec la participation de Valérie)

paysage fleuri
Les fleurs du silence #1, impression pigmentaire sur toile brodée

- broder au point de tige et passé-plat avec Odette : "les fleurs du silence", photos de paysages ou de plantes enneigés imprimés sur toile puis parés de fleurs brodées (activité qui se poursuit au-delà de la résidence par l'intermédiaire des animatrices)

collecte de tricots

- tricoter sur les consignes de Mme Morin, avec la participation d'Odile, de Mme Foucoult et de Simone : le projet "tu me survivras", qui consistait à recouvrir de multiples fragments de tricot assemblés, un fauteuil destiné à la salle d'attente de la chambre funéraire, n'a pas pu aboutir dans la durée de la résidence. La collecte de tricot se poursuit et aboutira probablement à un autre projet.

reprises
Les reprises, torchons et serviettes usés de l'Hôpital

- repriser avec Augustine et Bernadette : "les reprises", série de serviettes et torchons usés de l'Hôpital, reprisés avec du coton aux couleurs vives pour redonner une impulsion de vie à ces tissus au rebus.

torchon brodé et reprisé
Reprise brodée par Daniel, torchon usé de l'Hôpital reprisé puis brodé par Mr Carpentier

Les broderies de Daniel : C'est lors d'une séance de reprise que Daniel s'est joint à notre petit groupe, il m'a alors fait comprendre qu'il savait brodé du moment que je lui fournissais le matériel et que je lui préparais le motif (comme le faisait sa mère). Et c'est ainsi qu'il a entrepris une activité de broderie prolixe. Il a été convenu que la lingerie mettrait à disposition ses torchons afin qu'il puisse les broder de fleurs, et que ceux-ci puissent ensuite continuer d'être utlisés au sein des services. Je devais lui fournir au moins un motif par semaine afin de satisfaire son enthousiasme. Cette activité a été une véritablement révélation pour lui et pour tout l'entourage. Elle a suscité l'admiration des autres résidents et l'étonnement des aides-soignantes de le voir ainsi extrait de sa torpeur habituelle. Et c'est avec fièreté qu'il s'est installé dans les halls pour offrir à tous la contemplation de son plaisir à la tâche.

Mr Carpentier brode
Mr Carpentier en train de broder dans un hall


torchons brodés
Les broderies de Daniel, vitrine des torchons brodés par Mr Carpentier qui seront remis en circulation dans les services de l'Hôpital.

arbre des ancêtres
arbre des ancêtres, impression pigmentaire sur toile et cheveux brodés

La collecte de cheveux : Suite à la présentation d'oeuvres antérieures (rhizomes, arbre de vie), pour amorcer la participation des résidents au projet, des dames à la longue chevelure ont collectées les cheveux accumulés dans leur brosse, afin de participer à la composition d'un "arbre des ancètres" (photographie d'arbre enneigé imprimé sur toile et brodé de cheveux)

atelier portraits
atelier portraits


portraits
série de 10 portraits peints par les résidents, 30 x 40 cm

Dans un premier temps, les participants à l'atelier de portraits étaient photographiés dans leur chambre, allongés, les yeux fermés. Cette posture particulière d'abandon avait pour objet de les inviter à compléter leur image (absence de regard et de profondeur spatiale). Une fois imprimé, la vision offerte par les portraits pouvait suggérer une représentation de leur mort. Certains ont souhaité lui redonner vie, d'autres plus rares en ont été rebuté, mais la plupart abordaient leur image avec une grande spontanéité, recréant un souvenir correspondant à la situation. Certaines aides-soignantes, en revanche, ont eu des difficultés à accueillir cette évocation de la mort, qu'elles percevaient comme une image négative et choquante.

 

portrait3

 

 

portrait4

portrait2

sans titre, impression pigmentaire sur papier acrylique et pastel, 30 x 40 cm

Les participants sont intervenus sur leur portrait avec de l'acrylique et des pastels. Certains avaient besoin d'être guidés constamment car ils perdaient le fil de ce qu'ils étaient en train de faire, redécouvrant l'image à chaque instant, oubliant ce qu'ils avaient eux-même tracé quelques secondes auparavant. Je leur proposais les outils, les couleurs, les encourageais à s'écouter, à suivre leur impulsion, à poursuivre un geste, à se faire confiance. Parfois même quand la vue faisait défaut, à se fier à la mémoire de leur main : je relisais ce qu'ils avaient écrit, leur confirmais la forme qu'ils avaient tracée. Je les assurais que quoi qu'ils puissent faire, ils faisaient honneur à ma proposition afin qu'ils abandonnent la peur de "gâcher".

La superposition de leur image et de leurs interventions graphiques a permis de révéler l'intériorité psychique des participants de cette expérience, ce qui a particulièrement intéressé le Docteur JC Hansen, médecin coordonnateur de l'établissement. Faisant le parallèle avec l'étude des autoportraits d'un artiste ayant développé la maladie d'Alzheimer à la fin de sa vie, il a pu déceler des correspondances avec les caractéristiques des portraits de ses résidents. Cette recherche artistique nous a alors semblé contribuer à l'exploration du vécu lié aux troubles pathologiques que la recherche scientifique tente de mieux cerner. (texte du Dr Hansen)

Une difficulté s'est néanmoins présentée à propos du droit à l'image dans ce projet. Certains des participants étaient sous tutelle du fait de l'importance de leurs troubles, et la position du juge des tutelles vis-à-vis de ce type de projet s'est révélée extrêmement fermée : à aucun moment la dimension artistique n'est envisagée comme relevant de la liberté d'expression. Les tutelles ont imposé un interdit catégorique que l'image de ses personnes puissent figurer dans l'oeuvre d'un auteur, et être diffusée à un public. Ce faisant, elles invoquent les principes de "protection" de la vie privée, sans mesurer qu'un manque de discernement de la nature de l'image les conduit à adopter une position discriminatoire vis-à-vis des personnes qu'elles ont à charge.
Seuls les portraits des personnes ayant conservées leur responsabilité sous la vigilance de leur famille peuvent donc aujourd'hui accèder à une diffusion publique.
il serait judicieux qu'un débat public puisse avoir lieu sur la confrontation de ces deux principes fondamentaux de droit : protection de la vie privée et protection de la liberté d'expression.

 

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