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Préambule à la rencontre avec Albert Jacquard et Christine Jouve

le 16 avril 2005 à Fontainebleau
Festival Les Improbables, organisé par Bilbo

"Pour amorcer la préparation de notre rencontre, je vous propose ici quelques observations. Celles-ci ont émergées de l’expérience que j’ai pu faire à travers la réalisation de mes œuvres, ainsi que de l’écoute, entre autre, des propos d’Albert Jacquard.

Le désir initial qui m’a engagé sur la piste de cette recherche, était issu d’un sentiment de malaise que m’inspiraient les représentations du corps produites par notre société. La valorisation de la performance corporelle et des attributs de la jeunesse m’apparaissait comme l’expression d’un mépris du corps donc de soi, au profit d’une représentation sociale. La marginalisation des vieux me semblait faire échos à ce constat et j’ai souhaité en produire une critique. J’ai donc débuté la réalisation d’une vidéo avec ma grand-mère, sans me douter à quel point notre filiation complexifierait le projet. Ma position initiale était complaisante et inappropriée, et le parcours a entraîné des transformations profondes qui ont nécessité plusieurs années avant de parvenir à une première réalisation. J’ai du déplacer mes questionnements et développer une forme de retrait du jugement de l’autre en référence à soi, et une ouverture pour pouvoir être accueillie par ma grand-mère. J’ai pu ainsi aborder son mode d’existence solitaire, en l’associant aux diverses formes de vie qui se développait au sein de son environnement, dans l’indifférence d’une volonté de rationalisation urbaine (Biotope, 2001). Puis la perte de son autonomie et son changement d’état au sein d’une institution hospitalière m’ont amené à poursuivre mon approche afin d’appréhender ce nouveau mode d’existence, au premier abord en opposition radicale avec le désir de vie qu’elle m’avait exprimé. J’ai incorporé cette première transmission en réalisant une série de photographies stéréoscopiques (le devenir-vieillard, 2002) pour laquelle j’ai adopté ses vêtements, ses gestes et reproduit les différentes étapes de ce quotidien désormais révolu. Puis une nouvelle étape m’a orienté du côté de la perception d’un temps intérieur, celui de la transformation, le temps de quitter la vie. La différence de densité du temps vécu par l’une et l’autre était évidente et source d’une profonde mécompréhension de ma part. Il m’était difficile d’appréhender son état, de communiquer avec elle, la confrontation était trop bouleversante. J’ai donc développé une approche en spirale, afin de pouvoir aborder progressivement cette nouvelle dimension ; collectant des signes sonores et visuels au cours de mes allers-retours entre « le monde extérieur » et ce milieu de fin de vie (le jour s’est levé, 2004). L’état de dépendance et d’altération physique m’apparaissait comme une torture inhumaine d’autant plus que ma grand-mère avait exprimé à quel point elle souhaitait en finir avec la vie sans en passer par là. Puis j’ai pu envisager la fin de la vie comme cette transformation ultime qui conduit à un abandon total de soi. C’est bien la transformation qui me semble l’expression de la vie plutôt que le maintien et la résistance que nous tentons d’opérer par des techniques qui, elles, sont l’expression mortifère d’une forme d’intolérance.

Dans un exemple lors d’une chronique sur France Culture en décembre dernier, Albert Jacquard décrivait la différence de perception du temps entre deux sujets par rapport à l’approche d’un objet hyperdense : l’un faisant l’expérience d’une chute rapide et l’autre, à distance, observant la progression du premier dont la fin lui paraît d’une lenteur interminable et angoissante. Cette différence du temps perçu en fonction de paramètres physiques (déplacement et gravité) me semble trouver un échos dans cette différence du temps, de chacun en fonction de son état de transformation personnelle et de son parcours de vie."

Laëtitia Bourget, février 2005

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